vendredi 14 mars 2008

Petite balade en métro

Ce matin, j'avais affaires au centre-ville de Montréal, ce qui m'a amenée à voyager à l'heure de pointe matinale. Comme l'hiver est encore très présent dans nos rues embourbées de neige jusqu'à en perdre les trottoirs, j'ai choisi de me déplacer en transport en commun. Y'a rien comme le métro pour se sortir des bancs de neige !

Avant de poursuivre le récit de mon aventure dans la jungle urbaine, j'aimerais vous rappeler que je vis dans une bulle très zen depuis plusieurs mois maintenant, loin de l'activité effrénée d'une ville qui se rend au travail par un petit vendredi gris de la mi-mars. Ceci vous permettra de mieux mesurer l'ampleur du choc vécu.

Arrivée sur le boulevard Henri-Bourassa, après avoir escaladé les nombreux monticules ici et là, LE CHOC !!! Ça roule vite, il me semble. Pourtant, ça fait au moins trois ans que j'y passe pratiquement tous les jours, mais ce matin, c'était comme plus frappant. Sans doute que j'étais toujours dans ma petite bubulle... "OK, me dis-je, il va falloir ajuster ton beat, ma belle."

Je m'engouffre donc dans le souterrain que je commence à connaître assez bien maintenant. Chanceuse, j'ai un siège pour m'asseoir. Je m'installe confortablement (dans la mesure du possible), je lève les yeux pour lire sur un panneau réclame de la Colombie-Britannique qui cherche à attirer des talents, j'imagine : "Accélérez votre train de vie". Cette simple phrase imprimée en blanc sur un fond de Montagnes Rocheuses, où l'on aperçoit un homme qui jogge, m'est parue presque agressante. "Accélérez ?, pensai-je. Ben non, c'est le contraire qu'il faut faire : RALENTIR. Sinon, on va tous crever avant d'avoir atteint l'âge vénérable de 50 ans. Qu'est-ce qu'ils veulent vraiment véhiculer comme message ?" J'avoue que cette idée m'a laissée perplexe et quasi découragée sur les horizons qui se dessinent devant nous dans cette vie de SUR, SUPER, ULTRA, HYPER CONSOMMATION. Quand est-ce qu'on va comprendre le bon sens ?

Enfin, je décide que si je voulais pouvoir me rendre à destination, il valait mieux que je ferme les yeux pour me transporter dans mes rêves de campagne, de potager et de petites bêtes adorables. Dès les paupières closes, le film se met à dérouler dans ma tête; je me vois dans cet univers de verdure et de nature, de paix, d'harmonie et de joie. Et, je le sens, je souris légèrement. J'ai sans doute laissé imaginer à la foule de voyageurs qui s'entassaient dans mon wagon que j'étais un peu fêlée ou que j'en avais fumé du bon à cette heure matinale. "Eh bien, ai-je pensé, ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent. Moi, je suis au paradis dans mon esprit."

À la station de métro Square-Victoria, le train se vide des trois quarts. À Bonaventure, encore quelques passagers descendent pour laisser un vide encore plus grand dans les wagons. Puis, un homme entre, grand, noir, début trentaine. Il prend un siège tout près de moi et, en s'assoyant, me regarde droit dans les yeux et me dit d'un ton qui ne nécessite aucun porte-voix : "Bonjour, Mademoiselle. Ça va ?" Je lui réponds : "Oui, et vous ?" Sans répondre, il me lance tout bonnement : "La santé est bonne ?" Un peu surprise par la question, je lui formule tout de même une petite menterie : "Oui, et vous ?" Il poursuit son dialogue avec moi : "Ah, moi, vous savez, j'ai un problème de santé mentale." Et ce, toujours sur le même ton impossible à manquer pour un malentendant.

"Ils m'ont diagnostiqué schizophrène paranoïaque, ajoute-t-il, et je dois prendre des médicaments à tous les jours. Regardez (en me montrant une pilule dans un emballage portant la date d'hier), ça c'est la date d'hier, c'est parce que je ne l'ai pas prise aujourd'hui." Inquiétant, vous me direz ? Un peu, mais il avait l'air assez de bonne humeur; je n'avais pas vraiment peur de ses réactions, surtout parce que je descendais (heureusement) à la station suivante.

Ainsi, alors que je commence à me préparer à descendre, il poursuit en dirigeant son attention sur mon cas : "Et vous, prenez-vous des médicaments ?" J'ai choisis de mentir un peu : "Non". Il enchaîne : "Rien du tout ? Vous êtes chanceuse." Et avec toute la conscience qu'il avait de sa propre situation, il me demande : "Pourquoi moi ? Le Bon Dieu, y m'aime pas ?" Ça m'a fait tout drôle de l'entendre chercher une réponse qui, au fond, n'existe pas vraiment. Pourquoi lui ? Et pourquoi pas ? Personne n'est en mesure de répondre à ça. Pas vrai ?

Enfin, avec toute la compassion que je me trouvais capable de rassembler dans ces moments bien spéciaux, je le regarde dans les yeux pour lui donner mon idée sur la question : "Ça, Monsieur, c'est un mystère de la vie. Mais sachez que le Bon Dieu vous aime." Sur ce mot amical, les portes se sont ouvertes pour me laisser descendre. Je lui ai souhaité une bonne journée et j'ai continué mon chemin le coeur un peu plus léger qu'à mon entrée quelques minutes plus tôt. Cet homme m'avait donné la chance de tester ma capacité d'accueillir un inconnu, un frère, un peu déstabilisant, mais qui méritait tout de même un brin d'attention et de gentillesse. Il n'y a pas si longtemps, j'aurais sans doute réagi de la même façon que la plupart des gens en tentant de l'ignorer. Je ne crois pas que cette option aurait été appropriée dans ce contexte et, qui sait ?, peut-être ai-je fait sa journée aussi.

Sur le chemin du retour, arrivée à destination, j'entends quelques notes de guitare accompagnant la voix d'un chanteur de rue posté dans la station de métro. Je choisis de faire une autre petite B.A. en préparant une pièce de 1$ à lancer dans son coffret de guitare ouvert. En passant, je fais mon don et l'homme me remercie chaleureusement. Quelques pas plus loin, je l'entends dire, entre les lignes de sa chanson : "Vous êtes jolie." Je me retourne; il me regardait en hochant la tête, comme pour confirmer que c'est bien à moi qu'il adressait ce gentil compliment. Je me suis dit : "La vie est belle, finalement, quand on se donne la peine de la transformer un peu chemin faisant."

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