mercredi 24 décembre 2008

Histoires de 24 décembre

Ce texte a été écrit il y a exactement 11 ans, le matin du 24 décembre 1997 alors que je me préparais à quitter la chambre que j'avais occupée pendant plus de 18 mois en ville, question de me rapprocher de mon travail.

Lettre à l'Univers

Le 24 décembre, plusieurs diront que c'est la veille de Noël, la dernière journée pour se faire mourir dans les magasins, la course folle contre la montre du Père Noël. Le 24 décembre, pour moi, c'est le retour au bercail, le jour où tout reprend son cours normal pour un certain temps. Le 24 décembre, c'est en quelque sorte la fin d'un épisode de vie passé ailleurs, loin des miens à bosser.

Cette année, par contre, j'ai choisi de terminer cet épisode lentement, en prenant le temps de goûter au changement qu'il implique, pas comme il y a cinq ans...

Le 24 décembre 1992

À Québec, le matin il fait moins 20 degrés Celsius à l'extérieur et moins 50 dans mon coeur. Vite, je dois retourner près des miens où il fait plus chaud. L'épisode qui se termine m'a tout dérobé : mon énergie, ma joie de vivre, ma dignité. Ce qu'il me reste : quelques pénates, ou plutôt beaucoup de pénates que je dois embarquer seule dans ma petite Honda au grand froid. Fiou ! Il reste une place pour m'asseoir derrière le volant !

Un peu avant midi, je quitte cette ville qui n'a pas su m'accueillir et je laisse derrière cette vieille folle qui m'a hébergée, ces bourreaux... de travail qui m'ont ruinée, ces autres qui m'ont humiliée, et quelques amies qui m'ont supportée. Je prends la route avec tous ces souvenirs très présents et la boule dans la gorge. Sur la 20, le vent amplifie le froid et je n'arrive pas à me réchauffer. Un peu avant Drummondville, mon lave-glace reste coincé dans les petits tuyaux. La vue déjà brouillée par le chagrin, voilà que ma visibilité est encore réduite par le pare-brise. C'en est trop.

J'emprunte la sortie de Drummondville pour aller chercher du secours chez mon frère qui vit tout près. Heureusement ! Je frappe à la porte. Ma belle-soeur portant son premier enfant m'ouvre, surprise, en me demandant comment ça va. Avec grand effort, je lui réponds : «Ça va bien, et toi ?», presque en criant. Elle me répond: «Oh, ça n'a pas l'air d'aller toi !» Et c'est là que les flots se sont mis à couler en expliquant que mon lave-glace avait gelé...

N'ayant rien compris à mon histoire, Pierre et Linda me questionnent : «As-tu eu un accident ? Es-tu blessée ?» À travers les sanglots, je leur réponds : «Non, mon lave-glace est gelé, et je ne vois plus rien, et il fait moins 20oC, et je veux m'en aller chez nous, et c'est la veille de Noël, et mon auto est pleine de pénates...»

Calmement, ils m'invitent à m'asseoir et m'offrent un café pour laisser passer la tempête. Et puis, un peu plus tard, Pierre me montre une bouteille d'alcool, de la vodka je crois, en me disant : «Je vais y mettre un peu de ça.» Je conteste en invoquant le danger de l'alcool au volant. Et, de la vodka dans le café, c'est pas diable. «Non, pas dans le café, qu'il me dit, dans ton lave-glace, pour empêcher qu'il gèle!» Pas pire, ma tête aussi est brouillée ! L'opération de déglaçage s'amorce bouteille de vodka d'une main et séchoir à cheveux de l'autre. Dans la famille, on a toujours été pas mal débrouillards. Pas le choix un 24 décembre entre Québec et Montréal.

En fin d'après-midi, j'arrive enfin à destination, dans mon chez-nous, ou ce qu'il en reste, pour retrouver mon épave de la société. «Tiens, il est encore là lui ?» Ça c'est un autre cas à régler. Mais pas aujourd'hui, je suis trop fatiguée...

le 24 décembre 1997

Ce matin encore, je fais mes boîtes. Je retourne à la maison en campagne retrouver celui qui partage ma vie et mon chat que j'ai quittés il y a un an et demie pour travailler en ville. J'avais alors choisi d'habiter un appartement tout près de mon travail plutôt que de m'énerver dans la circulation soir et matin. En même temps, j'avais choisi de prendre un peu de recul face à ma relation de couple pour faire le point sur ma vie. Le ciel s'est montré bon et généreux pendant cet épisode. Il m'a offert un travail intéressant et bien payé et, en prime, un coloc extraordinaire qui est devenu comme un frère.

Maintenant que j'ai trouvé un emploi plus près de chez moi, en campagne, ma vie reprend une allure normale. Je pourrai rentrer souper à la maison tous les soirs. Mais avant, je dois quitter cette chambre qui m'a souvent inspirée et qui m'a permis de cheminer en paix.

Aujourd'hui, 24 décembre 2008

Ce matin, je fais mon possible... Je me préparais à me rendre au CLSC pour terminer le traitement de lundi quand j'ai entendu la charrue passer... ENCORE !!! Dimanche soir, j'avais pris le soin de tout nettoyer ma voiture cachée sous 30 centimètres de neige folle en sachant qu'après le traitement, il serait plus difficile pour moi de la dégager. Mais la nuit dernière, il est tombé encore 15 centimètres et tout était à recommencer.

J'ai pris mon courage à deux mains et ma pelle de l'autre pour me libérer de mon banc de neige. Il était 8h. Vers 8h30, je réussis à sortir de mon trou pour me rendre difficilement à mon rendez-vous car les rues sont encore embourbées de neige. Arrivée au CLSC, un petit superviseur de stationnement s'assure que je n'occupe pas une place réservée dans la partie du terrain encore vide. Compte tenu des circonstances de mon début de journée, je n'ai pas pris la peine de chercher plus loin. Je m'argumente un moment avec lui en expliquant que je n'en ai que pour quelques minutes, mais il ne veut rien entendre.

Dans ce temps-là, j'ai envie de sortir mon histoire pour susciter un peu de compassion, mais ce n'est pas toujours à propos. Ceci dit, si on connaissait les réalités des inconnus qu'on rencontre dans la rue, peut-être qu'on serait capable de plus de douceur et de compassion. Ce matin, moi, j'en avais bien besoin.

Maintenant, je compte passer le reste de la journée à refaire mes énergies et j'espère trouver le courage d'aller prendre l'air avant que la pluie verglaçante ne nous tombe dessus... Quelle journée !

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